Elémentaire, une critique du dernier Disney-Pixar [avec spoiler]
Version audio : Podcast Le Coin Culture Pop
Le film Elémentaire, réalisé par Peter Shon, met en scène l’allégorie d’une réalité sociale que beaucoup connaissent et que beaucoup ignorent.
Et je l’ai adoré.
D’une part, l’univers fonctionne et trouve sa
propre originalité. Le scénario possède un rythme lent mais reste solide. En
prenant le temps de présenter ces personnages, de nous montrer leurs forces et
leurs faiblesses, le public peut s’identifier à eux. Ensuite, la volonté de ne pas personnifier le
vilain est très intéressante. Le film dépeint “le mal” qui se cache dans la
société et dans nos biais intériorisés. Alors ici, on ne va pas protéger le
monde, mais soi-même et ses proches. Ces choix rendent l’histoire intime. Pixar ne propose pas du
grand spectacle de super-héros ou de créatures magiques (malgré la beauté de
l’image) mais l’histoire d’agent·e·s du service public,
d’immigré·e·s
en quête de reconnaissance, de racisme ordinaire, d’émotions trop fortes pour
être gérées…
Bien que certains
motifs narratifs ne paraissent pas très innovants (amour impossible, émancipation, pression
parentale), le film reste aussi ludique que créatif et propose une version
touchante et nécessaire d’un monde dans lequel
beaucoup peuvent se reconnaître.
Cet article
s’attardera donc à présenter de manière subjective la pertinence et
l’originalité de deux thématiques principales : la xénophobie et
l’histoire d’amour.
Présentation
Élémentaire est un film animé de 2023, produit par Disney-Pixar et
réalisé par Peter Shon, un américain dont les
parents sud-coréen·ne·s ont immigré dans le Bronx avant sa naissance.
Le film se
déroule dans une ville d’éléments (air, feu, terre, eau) et raconte l’histoire de Flam, une enfant
d’immigré·e·s et issue du peuple des éléments du feu, appelés les “ Flamboyants”. Sa
famille est installée à “Element city” où tous les éléments sont censés vivre ensemble. Le
film raconte, au travers de son histoire, les difficultés d’intégration et la
pression familiale en toile de fond, une romance assez saine et porteuse de
propos intéressants.
Parler de discriminations et de
rejets
Dans les thèmes
forts du film sont traités le racisme systémique, la xénophobie,
les discriminations, le racisme intériorisé et le rejet de la société.
Dès son introduction, le film pose le contexte et
approfondit le passé des parents de l’héroïne en nous montrant
leur émigration : leur déracinement et leur
longue traversée en bateau qui se
conclue par un accueil mitigé où le racisme et le rejet sont très prégnants (ici notamment les personnages de feu sont considérés comme
dangereux pour les autres éléments et ne parlent pas la langue commune). Il est
impossible de ne pas être touché·e et conquis·e par cette ouverture qui nous place dans les sujets
centraux du film. Contrairement à d’autres Pixar qui tournent autour de ce sujet, ici, pas de magie, pas de transformation et ce
réalisme dès les premières minutes est agréable car criant de vérité.
La ville d'Elément city est basée sur New-York et l’endroit où vivent
les Flamboyants dont fait partie notre héroïne Flam, sur le Bronx[1]. Ce
parallèle permet de représenter une ghettoïsation et un communautarisme proches
des réalités urbaines en Occident. Les Flamboyant·es, dernière vague d’arrivant·e·s, vivent ensemble, dans un
endroit déconnecté du centre-ville (où iels ne
vont jamais).
La première
rencontre avec un membre du peuple des Aquatiques[2] permet de montrer la partie
privilégiée de cette ville. Vivant dans une grande tour, inconscient de ses privilèges, le personnage de Flack
tombe vite sous le charme de Flam, notre personnage principal, sans voir les
différences qui les séparent.
Au-delà de l’aspect physiologique (eau contre feu), leurs
histoires sont opposées : l’un est issu
de la catégorie la plus privilégiée et d’une
famille instalée en ville depuis plusieurs générations,
l’autre est une enfant d’immigré·e·s,
rejeté·e·s et stigmatisé·e·s dès leur
arrivée. Flack ne semble avoir aucune
conscience de ce que l’histoire de Flam implique pour elle. Il ne voit pas ses
propres privilèges et sera même coupable de racisme ordinaire. Les maladresses
et les micro-agressions d’une personne privilégiée, par manque de connaissance et
de déconstruction, sonnent justes. Par exemple, la famille de Flack accueille Flam à bras ouverts, la mettant aussi face à tout
ce qu’elle n’a pas, et ne semble avoir aucune conscience des réalités de sa
vie. Plus tard, quand Flack met la pression à
Flam pour qu’elle réalise ses rêves au lieu de suivre la voix de son père, elle
le rabroue. En effet, ce n’est pas aussi simple pour elle que pour lui.
Flack
finira par comprendre et prendre parti en soutenant Flam au regard de ses
difficultés, jusqu’à se sacrifier pour elle : vague histoire d’amour ou représentation ultime de l’allié·e?
Enfin, le sujet de l’accessibilité traité au
travers des différences entre éléments m’a paru très pertinent.
Au détour d’un dialogue, Flam explique qu’elle ne va jamais en ville car “la
ville n’est pas adaptée pour nous”. Dans le centre-ville,
il n’y
a aucune personne des Flamboyant·e·s, elles sont exclues de l’espace
public. Dans le cadre d’une sortie en
ville, elles doivent
se munir d’un parapluie, car la ville,
construite par et pour les Aquatiques, se
révèle très dangereuse pour les Flamboyant·e·s.
Ainsi, le film nous présente une urbanisation discriminante très proche de
notre réalité qui marginalise certaines populations. Dans la même veine, l’un
des enjeux du film est une fuite d’eau qui menace d’inonder le quartier de
Flam. Le peu d'intérêt que les agent.e.s de la municipalité y portent montre aussi cette déconnexion entre la
communauté de Flam et l’aménagement urbain.
Finalement, c’est
Flam et Flack qui doivent s'en occuper, évidemment pour le pire.
Une
histoire d’amour, qui renverse certains cliché
Pixar, peu
habitué aux histoires d'amour, propose ici une comédie romantique
d’amour impossible. N’ayant vu aucune promotion à ce sujet, ce n’est pas ce que j'attendais, ni ce que j’ai retenu.
Pourtant, en tant que personne peu encline à la romance, je trouve intéressant
de soulever les aspects positifs de cette histoire d’amour.
D’abord, Flack
est un homme très en phase avec ses émotions, il pleure (beaucoup), est très
proche de sa famille, connaît ses limites et
exprime ses ressentis. Il n’a pas une très
haute estime de lui-même, mais rencontrer Flam
va lui donner envie de s’améliorer. D’un autre côté, il existe à travers Flam
et sert sa quête personnelle. Ce qui pourrait être le cliché de la manic
pixie dream girl (MPDG) renversé[3] est encore plus intelligent.
En effet, bien que Flack existe pour faire briller
Flam, il ne correspond pas au cliché musclé et mystérieux du MPDB. Cela est
même désamorcé dès qu’on le rencontre de manière comique. Ensuite, on découvre
sa famille, connaît son passé et ses faiblesses, il est donc un personnage complexe à
plusieurs niveaux de lecture. Il permet aussi, comme dit précédemment,
d’illustrer des formes de racisme intériorisé, pertinentes pour le propos du film.
Pendant tout le
film, nous pouvons sentir que l’on tend vers une comédie romantique du type
“iels finirent heureuxses ensemble”. Néanmoins, dans la première partie,
l’histoire se concentre sur Flam et ses problèmes en tant qu’enfant
d’immigré·e·s et minorités discriminé·e·s, ainsi qu’avec son père.
Flack l’accompagne et tombe amoureux. Mais
leur écart culturel et physionomique (on rappelle, feu et eau) permettent de
relayer leur connexion amoureuse au second plan un long moment. J’ai été
tellement embarquée par les enjeux qui paraissent anodins pour toustes mais qui
sont essentiels pour Flam que j’ai fini par me demander si les deux ne
finiraient pas ami·e·s (mais on ne peut pas tout avoir, que voulez-vous).
Finalement, les
problèmes structurels qui les empêchaient d’être ensemble vont être résolus par
le partage d’expériences fortes qui surpassent leurs différences. Et bien que
ce soit un peu utopique voire cliché, Élémentaire arrive à le
rendre touchant.
Un autre trope
utilisé est le “grognon-solaire”[4] où Flack correspond à cet être heureux et positif alors que Flam est grincheuse et
négative. Néanmoins, ce trope est renversé
d’une manière pertinente. D’une part, Flack
est aussi souvent triste qu’heureux, sa facilité à pleurer le décale un peu du
“solaire” habituel. D’autre part, Flam passe
son temps à contenir son tempérament en présence de ses proches, son côté
grognon est souvent mis en placard. Enfin, leurs caractères s’expliquent par
leurs histoires : l’un vivant confortablement dans ses privilèges et l’autre
qui ressent un fort sentiment d’injustice et qui se sent enfermée dans sa vie.
C’est donc une
manière intelligente d’opposer ces deux personnages qui finiront par s’aimer en
passant du temps ensemble et en dépassant leurs préjugés (cliché mais
touchant).
Pour conclure, malgré une réception
moyenne et un départ au box office mitigé, je recommande Élémentaire que je trouve original
dans son genre, simple, bien écrit et qui dépeint une réalité méritant d’être
encore et toujours plus mise en avant.
Aïssa
[1] Un des cinq quartiers de
New-York, le seul à être situé sur le continent
[2] Peuple de l’élément eau, opposé
aux Flamboyants, peuple de l’élément feu. A priori les deux peuples
sont mortels l’un pour l’autre.
[3] Manic pixie dream girl ou boy
(MPDB) est l’archétype d’un personnage, amoureux du personnage principal, qui
correspond à des carcans de beauté très précis et qui existent seulement pour
rendre le personnage principal meilleur. Plus souvent critiqué dans sa version
féminisme.
[4] Traduit de l’anglais “grumpy-sunshine”
- couple opposé par un caractère dit lumineux et un caractère sombre, qui
permet des situations comiques mais aussi touchantes.
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