Barbie et Anatomie d’une chute, qu’est-ce qui rapproche les des deux films féministes de l’été 2023 ? [avec spoiler]

 

Barbie, réalisé par Greta Gerwig avec Margot Robbie (Barbie) et Ryan Gosling (Ken) est un film hollywoodien entre le blockbuster et le film d’auteur produit par Mattel. Sa réalisatrice est la première femme à atteindre le milliard de dollars au box-office avec ce film. Ce dernier raconte l’histoire d’une Barbie propulsée dans le monde réel pour tenter de sauver son monde imaginaire. Par la force des événements, elle se retrouve forcée d’emmener son Ken avec elle.

Anatomie d’une chute, un film européen, est réalisé par Justine Triet et remporte la palme d’or à Canne en 2023. Le couple au cœur de l’intrigue ici est composé de Sandra et Samuel interprétés respectivement par Sandra Hüller et Samuel Theis. Ce drame intimiste déroule la procédure judiciaire de la mise en accusation de Sandra, suite au décès de Samuel. Celui-ci est retrouvé mort au pied de la maison et il s’agira pour le tribunal d’établir la cause de sa chute.

Sortis à un mois d’écart au courant de l’été 2023, ces films semblent très différents sur leur ton, leur identité visuelle et leurs sujets. Pourtant, dans cet article, je propose de les mettre en parallèle pour montrer leur proximité dans leurs constructions et leurs messages militants et féministes.


Deux héroïnes indépendantes, deux hommes blessés : deux relations toxiques.

Barbie et Sandra : femmes indépendantes qui dérangent

Je trouve aisé de rapprocher les deux héroïnes précitées. D’abord, elles sont toutes deux des modèles plébiscités : Barbie est la poupée originelle, elle est reconnue parmi ses pairs et le public, car tout l’univers Barbie découle d’elle. Sandra est une autrice à succès et une mère aimante. La première scène d’Anatomie d’une chute montre une étudiante qui vient l’interroger et qui parait très admirative ; on le voit aussi à travers les interludes médiatiques qui parlent de ses livres ou de sa notoriété.

Ensuite, les deux femmes plaisent : les Ken se disputent Barbie et Sandra est largement présentée comme une femme désirée et qui désire.

Enfin, elles sont toutes deux indépendantes et n’ont pas besoin de leurs partenaires pour se sentir exister. Barbie rejette Ken de manière très naïve au début du film dans une scène qui nous permet, entre autres, de montrer le déséquilibre qui existe dans leur couple. Sandra évoque plusieurs fois sa facilité à s’organiser, à travailler seule, elle se connait et a confiance en elle. Aucune des deux n’a besoin de la validation d’un tiers, elles sont loin de l’image de la femme dévouée. Comme pour Barbie, les scènes dans l’intimité du couple de Sandra et Samuel montrent un déséquilibre problématique.

Dans ces deux histoires, les héroïnes affrontent un flot de critiques sexistes et clichés lié à leur indépendance et leur assurance. On pourrait se dire « comme toutes les femmes Michel » nonobstant, cela rapproche encore nos personnages féminins avec qui la société va se montrer plus dure qu’avec leur homologue masculin. Ni Barbie ni Sandra ne possède le droit à l’erreur et l’on va les critiquer là où elles se sentent à l’aise, là où elles brillent. Pour l’une, le fait d’être la Barbie originale (ce qui lui donne son aura et son indépendance) la fait passer pour un être superficiel, bête, voire inutile. Pour l’autre, être une autrice à succès, bisexuelle, qui écrit des romans noirs et avec une personnalité affirmée, permettra à l’avocat de l’accusation de la faire passer pour une femme infidèle, hystérique, plagiaire et une mauvaise mère.

Barbie et Sandra se rejoignent dans ces injonctions qu’elles affrontent mais aussi par leurs difficultés à vivre confrontées à la masculinité en général, surtout celle de leur partenaire.

Ken et Samuel : des hommes blessés qui veulent blesser

Ken et Samuel sont deux personnages persuadés de donner plus qu’ils ne reçoivent. Dans les deux œuvres, nous les verrons saisir la première occasion pour faire souffrir et rabaisser leur partenaire. Si les films montrent le mal-être de ces hommes, ils condamnent leurs comportements.

Les deux personnages masculins se placent constamment en position de victimes. Ce qui est intéressant est la différence de traitement de cette position selon les univers installés dans chacun des films. Nous pouvons établir un parallèle entre le monde de Barbie et la Cour du tribunal dans Anatomie d’une chute : ce sont deux lieux à part du monde réel. Le monde des Barbie est un terrain sans nuances. C’est aussi le cas de la Cour où tout va être mis à son état le plus pur où seuls les faits comptent. De plus, dans les deux cas, les personnages qui peuplent ces « univers » le pensent neutre et juste alors qu’ils sont en réalité biaisés. À l’inverse, « le monde réel », ou l’extérieur du tribunal,  rapporte de l’équilibre et révèle les vraies personnalités des deux hommes.

Pour Barbie, cela est très clair puisque quand Ken découvre ses privilèges potentiels lors de son voyage dans « le monde réel », il devient alors une version sexiste de lui-même avec pour seule envie de blesser Barbie. Dans Anatomie d’une chute, cela est moins évident et il s’agit là de mon analyse du film : Samuel est un fantôme, on le voit mort et on apprend à le connaître via Sandra, mais surtout via l’enquête, les témoins et les experts. C’est donc d’abord dans cet univers à part qu’est le tribunal qu’on découvre qui est Samuel, et on est tenté de le prendre en pitié. Mais petit à petit, on en apprend plus sur qui il était vraiment grâce à des flashbacks, mais aussi par le regard de Sandra.

Une scène marquante est celle de « la dispute du 4 mars » (veille de la mort du protagoniste et reconstruite comme un souvenir par le film). On comprend toute la frustration de Samuel qui projette les pires choses sur Sandra. Mis en comparaison avec le témoignage du psychologue de Samuel qui tente d’accabler Sandra, on voit très bien à quel point le cadre du procès essentialise les propos accusateurs du mari pour faire de sa femme une sorcière, une castratrice. Ces sentiments seront aussi une motivation d’agir pour Ken.

C’est ainsi que sont présentés deux couples qui questionnent l’audience : à qui la faute ? Devraient-ils être ensembles ?

Le couple et la notion de territoire

Les films évoquent de manière pertinente la charge que représente leur relation pour les héroïnes. Avant de détailler, établissons un présupposé pour ces couples : Barbie et Ken sont des sortes d’âme sœurs fantasmées par le public et par la pop culture ; de son côté, Sandra évoque pendant le film que Samuel est son âme sœur. Nous sommes donc ici avec deux relations évidentes et fusionnelles, en tout cas dans les imaginaires.

Un aspect très intéressant en lien avec le couple qui rapproche les deux films et les deux relations dépeintes est celui du territoire. Cela est ouvertement évoqué dans Anatomie d’une chute, puisque Samuel reproche à Sandra d’imposer son espace et de ne lui en laisser aucun. Dans Barbie, la question est plus humoristique car l’on comprend que Ken n’a pas de maison quand Barbie réalise qu’elle ne sait pas où il dort.

Les deux hommes vont vouloir reprendre ce pouvoir, quand Ken prend possession de la maison de Barbie et y installe toutes ses affaires, c’est un vol de propriété qui montre l’insécurité de Ken et sa volonté de la blesser. Pour Samuel, c’est en forçant Sandra à venir s’installer dans sa ville natale que cela transparaît. On peut aussi voir sa volonté de réaménager la maison lui-même comme une traduction viriliste du foyer : la maison que l’on construit, que l’on bâtit de ses propres mains.

Sandra, comme Barbie, se trouve démunie face à ces choix radicaux et unilatéraux pour leur couple. Sandra est toujours acceptée à l’intérieur du foyer, néanmoins les agissements de son partenaire montrent clairement qu’elle ne doit pas s’y sentir confortable (comme le montre la première scène où elle reçoit une étudiante chez elle et son mari la chasse en mettant la musique à un volume indécent). Barbie est de son côté mise à la rue. Dans les deux cas, il s’agit de provocations immatures (les films le soulignent) et violentes visant à faire réagir la femme indépendante.

Je me permets de nommer ces relations « toxiques »  car il existe en leur sein un déséquilibre et des blessures passées qui rendent les relations étouffantes et violentes. Pour ces couples enfermés dans cette bulle, seuls les événements dramatiques dépeints dans les films leur permettront une forme de libération.

On peut se demander dans le cadre de Barbie et Ken combien de temps, iels auraient continué ensemble sans l’aventure du film, de même Sandra et Samuel ne se seraient sûrement pas séparé·es sans la chute. Dans les deux cas, il y a toujours de l’amour, mais il existe un dysfonctionnement qui semble rendre l’air irrespirable entre elleux.

Regard patriarcal, défense féministe

Victimes ou bourreaux ? La vision patriarcale

Nous avons donc établi qu’on pouvait créer un parallèle entre le monde de Barbie et la Cour de Justice, deux lieux à part du monde réel. Comme pour le monde de Barbie, la Cour est remplie au fur et à mesure du film d’injonctions patriarcales qui accablent les héroïnes et valorisent leur partenaire masculin en les plaçant comme des victimes. Pourtant, avec un regard féministe et féminin, il est aisé de prendre le parti des héroïnes.

Dans le cas d’Anatomie d’une chute, la question est littéralement « est-ce que Samuel est victime de sa femme ? » (ou bien s’est-il ôté la vie lui-même ?) et donc « est-ce que Sandra mérite d’être punie ? ». Toutefois, très rapidement le personnage de Samuel devient frustrant par ses actions et ses modes de pensées. De cela naît un sentiment d’injustice de savoir que Sandra risque d’être punie à vie à cause de cette position de victime dans laquelle la société (ici représentée par le procureur,  la juge et le public) place Samuel.

Barbie, elle, se voit tout retirer sous prétexte que Ken se pose lui-même en victime, la question « mérite-t-elle ce sort ? » peut se poser si on reste du point de vue de Ken sans prendre de recul. Pourtant, les actions de Ken découlent de son passage dans le monde réel où il a été confronté à la masculinité toxique qui a fait gonfler son égo jusqu’à ce qu’il prenne le pas sur le reste de ses traits de personnalité (phénomène dénoncé dans le film par le burn out de Ken). Samuel, de son côté, a grandi dans ce monde et il est bien établi qu’il possède un égo fort mis à mal continuellement par ses choix de vie.

Pour les deux hommes, c’est finalement hors de la réalité (monde de Barbie et Cour de Justice) qu’ils prennent pleinement cette place de victime tant désirée. Paradoxalement, c'est là qu’ils réussissent le mieux à prendre un ascendant sur leurs compagnes, mettant en péril la vie et l’équilibre de leur partenaire dénoncé par les deux films.

La défense par la parole : discours et messages militants et féministes

Les deux réalisatrices font passer énormément de réponses à ces problématiques dans des dialogues entre deux ou trois personnages extrêmement bien écrits et bien interprétés.

Parfois, la longueur des films et les nombreuses propositions rendent les messages plus ou moins subtils, néanmoins, ils existent et sont essentiels dans l’écriture.

Un message commun des films est donc la dénonciation du patriarcat et son impact négatif sur les femmes. Dans Barbie, les injonctions paradoxales dont sont victimes les femmes sont dénoncées par l’ensemble des personnages féminins, libérées par un élan de sororité.  Greta Gerwig fait s’enchaîner des face-à-face entre femmes qui s’accompagnent vers l’émancipation. Il s’agit d’un moment très beau et rempli de propos forts qui suivent le discours inspirant d’America Ferrera. Il faut prendre le temps de relire ces différents passages, néanmoins la force des dialogues est surprenante.

Dans Anatomie d’une chute, le personnage de Sandra, écrivaine qui maîtrise les mots, va se défendre à l’aide de ses avocats. Ici, la sororité ne semble pas au centre. Cependant, on peut noter que la seule femme experte ou professionnelle qui témoigne parle en faveur de Sandra et qu’à part son avocat principal, Sandra est entourée de femmes présentes pour la soutenir dans cette épreuve. De la même manière, si dans Barbie, le « boys club » est dénoncé de manière flagrante, pour Anatomie d’une chute, on voit des hommes défiler à la barre et donner leur interpénétration des événements allant dans le sens de Samuel et contre Sandra.

Un autre message commun et essentiel aux deux films est celui du choix. Pour le film Barbie, le dialogue de fin entre Barbie et sa créatrice donne au public une réflexion sur le déterminisme. En tant que personne sexisée, on est souvent assignée à des rôles qu’on a du mal à dépasser par manque de confiance ou de soutien. Ici, le film nous transmet le message que l’on peut choisir notre destin, devenir qui l'on veut, mais il s’agit de faire des choix.

Dans Anatomie d’une chute, le problème est posé différemment, mais le message du choix reste central. Ici, on se demande d’abord : comment croire ? Le fils de Sandra doute de la culpabilité de sa mère mais aux vues des preuves peu nombreuses, décider lui semble impossible. Le personnage de Marge lui conseille de faire un choix, pour paraphraser le film : quand deux possibilités sont insolubles, on peut choisir de quel côté notre balance va pencher. Cela est un parallèle facile à faire avec les cas de violences sexistes et sexuelles, parole contre parole. Dans ces cas il n'y a pas assez de preuves pour ou contre et c’est à chacun·e de décider qui croire. Dans Anatomie d’une chute, et comme souvent avec un regard féministe, on se rangera du côté de la femme (et c’est d’ailleurs ce que fera son fils, ce qui pour moi est un signe que le film valide cette position).

Pour conclure, ces deux films dénoncent des mécanismes de couples semblables et montrent des personnages principaux qui vivent des injonctions et des contradictions proches.

S’il y a d’autres sujets différents traités par ces œuvres et des mises en scène très éloignées, ces rapprochements semblent pertinents : ces films s’ancrent dans une phase de notre société post-metoo où le mari idéal et le petit-copain parfait doivent être critiqués quand ils se conforment à des schémas patriarcaux de domination.

 A.R Fam

 

 

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