The Morning show — L’importance de la sororité [sans spoiler]
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La série « The Morning show » réalisée par Jay Carson, est diffusée pour la première fois en 2019 sur Apple TV+. C’est l’une des premières séries originales de la plateforme naissante et c’est un carton avec de hautes audiences. Quatre ans plus tard, je reviens sur l’un des points centraux de la série : la relation entre les deux protagonistes féminines.
Résumé : nous entrons dans les coulisses du Morning show, deux ans après le mouvement féministe Me Too. Le présentateur star, Mitch Kessler, joué par Steve Carell (The Office) est accusé de harcèlement sexuel par une collègue et est renvoyé. Après quelques rebondissements, une nouvelle présentatrice plus jeune et plus moderne le remplace.
La série développe entre autres la fragilité des liens entre les personnages, la question de la « cancel culture »[1], de l’omerta (ou loi du silence) et des relations au travail dans des milieux où la verticalité prime et où l’opinion publique est un enjeu central.
La sororité : un manque à gagner dans les séries
La sororité est le pendant féminin de la fraternité. Concrètement, il s’agit de proposer à l’écran des femmes qui se soutiennent plutôt que de se tirer dans les pattes. Sauf que voilà : la pop culture en occident a été reconnue coupable d’avoir tendance à mettre les femmes en compétition dans sa manière de représenter leurs relations.
Se disputer pour un amant, s’écraser pour un travail, se sentir la plus belle : la figure de la « Final Girl »[2] et autres exemples nous montrent que depuis toujours, les femmes doivent s’affronter pour prouver leur valeur, pour survivre.
En 2019 les choses changent : La servante écarlate, Les figures de l’ombre, ou encore Sex Education nous offrent de belles représentations d’amitiés entre femmes et jeunes femmes, dans des mondes où le poids du genre n’est plus à prouver.
Alors, en quoi The Morning Show se distingue-t-elle ?
Alex et Bradley, deux femmes, deux univers, un patriarcat.
La saison 1 de la série se concentre sur deux femmes journalistes qui devraient (selon les critères de la pop culture) se détester. Alex Levy (Jennifer Aniston) représente le passé. Elle a peur pour sa place et Bradley Cooper (Reese Witherspoon) est à l’image de ce qu’elle était dans sa jeunesse, mais aussi de ce qu’elle aurait pu être : une femme libre, sure d’elle, qui veut dépasser les codes de ce que la société attend.
Malgré tout le pouvoir qu’Alex possède en tant que présentatrice du plus grand média des Etats-Unis, elle est enfermée dans sa condition de femme. Elle est rangée dans cette case de mère du peuple et son destin est entre les mains d’une poignée d’hommes cisgenres et blancs. Pendant quinze ans, elle a représenté le couple parfait, en animant le Morning Show, l’émission de l’Amérique conservatrice, avec son collègue et meilleur ami, Mitch Kessler. Celui-ci ayant été mis de côté grâce à la vague de la modernité et du féminisme, Alex se retrouve sans repères. Alors qu’elle s’était modelée pour devenir la femme parfaite qui correspond aux attentes du fameux « boys club »[3]. Alors qu’elle avait réussi à graviter autour et à profiter de certains avantages (quitte à dévaloriser les autres femmes[4]), la voilà jetée dans un monde en changement, où faire partie du club n’est plus une qualité, mais une source de critique.
Bradley, qui ose parler, pointer du doigt le club et qui refuse de se conformer, représente la nouveauté qu’Alex craint tant.
De son côté, Bradley se voit forcée de faire des choses qui vont contre ses principes, alors que le compas moral de son personnage est son seul guide. Bien qu’Alex l’écrase par son influence et son expérience, la série lui donne plusieurs opportunités pour renverser ce rapport de pouvoir. Néanmoins, Bradley hésitera toujours à les saisir, noyée dans le grand bain et partagée entre sa volonté d’être fidèle et celle d’être honnête.
En 2019, dans notre société patriarcale, on pourrait penser que Bradley gagnerait à écraser Alex, et qu’Alex n’hésiterait pas à balayer Bradley, mais la série va nous montrer une autre voie.
Le choix de la sororité
« Tu peux te montrer vulnérable avec moi ». Bradley Cooper, Episode 6, Saison 1.
La série décortique toute la complexité des relations et le choix que ces deux femmes font : celui de la sororité. Si le scénario de la saison 1 met leurs volontés plusieurs fois à mal, ce sera toujours leur ultime décision.
Nous assistons alors à un tour de force : bien que la série nous présente deux univers qui s’entrechoquent, des motivations et des désirs qui s’affrontent, les deux femmes ne s’opposeront finalement pas, et ce, malgré le poids des attentes de leur milieu professionnel ou de leurs convictions personnelles.
La douceur avec laquelle elles se traitent, la manière dont elles acceptent les émotions de l’autre, et l’aide qu’elles s’apportent pour les traverser, rendent leur sororité puissante et donne envie de les imiter.
Oui, le monde divise les femmes, il nous range dans des cases, mais nous devons résister à l’opposition systémique de ces cases plus ou moins valorisées, mais toutes jugées et critiquées.
Ce n’est pas parce que d’autres nous renvoient à ce que l’on désire, à ce qui nous est inaccessible, ou à ce qui nous est insupportable, qu’elles sont nos ennemies.
Ça, c’est ce que la société veut nous faire croire. La réalité est que l’on peut obtenir ce que l’on souhaite, peu importe notre genre. Nous avons le droit.
Grâce à The Morning Show nous assistons à une représentation positive de deux femmes, qui bien qu’engagées dans une situation aux allures conflictuelles trouveront un moyen de se soutenir, de dénoncer, et de ne pas se laisser submerger par les injonctions de la société patriarcale.
Car en s’aidant les un.e.s les autres, nous survivrons, nous vaincrons.
Sorority matters. La sororité compte.
A.R Fam — mai 2023 — Le
Coin Culture Pop
[1] Ou culture de l’effacement en français, consiste à dénoncer publiquement, en vue de leur ostracisation de leurs responsables, des comportements ou de propos perçus comme inadmissibles.
[2] Archétype du cinéma d’horreur, représente la dernière fille qui survivra au tueur.
[3] Groupe serré d’amis-hommes qui se protègent et se favorisent entre eux.
[4] Ce que l’on peut assimiler au concept de la « pick me » ou « choisis-moi », personne féminine qui veut se faire apprécier de l’élite masculine, au point de changer sa personnalité et de rabaisser les autres. Dans The Morning Show par exemple, Alex ne se permet jamais de pleurer devant personne, malgré sa sensibilité.
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