Fleebag : de l’anti-héroïne à l’héroïne moderne [sans spoiler]

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Dans nos films, nos séries et nos livres, les femmes ont toujours pu être des protagonistes. Depuis Madame  Bovary en passant par Ma sorcière bien-aimée,  Captain Marvel, ou encore Nancy Botwin, la pop culture comporte beaucoup de personnages principaux féminins. Cependant, elles restent plus rares que leurs équivalents masculins, et cela est aussi vrai pour l’anti-héroïne que pour l’héroïne.

Fleebag, série écrite et interprétée par Phoebe Waller-Bridge en 2013, est un exemple déjà iconique de ce qu’on appelle l’anti-héro.ïne 2.0. Néanmoins, au regard de la figure de l’héroïne dans la pop culture, il est intéressant d’interroger cette position.

Fleebag ne pourrait-elle pas représenter une nouvelle forme d’héroïsme ?


Quel est le problème de nos héroïnes ?

Le Larousse définit un.e héro.ïne comme une « personne qui se distingue par sa bravoure, ses mérites exceptionnels, etc. ». Cet archétype désigne celles et ceux qui correspondent aux valeurs que la société considère comme valides en son temps. Ainsi, dans une société en mouvement, ces figures tendent à évoluer dans le temps, mais aussi dans l’espace. Elles diffèreront notamment selon les constructions genrées. En effet, dans la société patriarcale, la bravoure et le mérite ne se réfèrent pas aux mêmes caractéristiques en fonction de votre genre assigné. On peut donc distinguer le héros de l’héroïne. Dans la pop culture, deux formes d’héroïnes ont prédominé dans le temps : une première version dont l’exemple type serait Belle (la Belle et la Bête, 1991) et une version post-féministe moderne, représentée par exemple par Miss Hulk (She-Hulk : Avocate, 2022).

L’héroïne 1.0 : la fille spéciale à votre service

Le modèle plus classique de l’héroïne en pop culture correspond au personnage qui tient sa maison, la mère idéale, la femme sensible. Avec les mouvements d’indépendance féministes, on a vu émerger des protagonistes qui, par ces mêmes sensibilités et féminités, allaient aider des hommes à devenir meilleurs. La bravoure des femmes représente alors leurs capacités à se restreindre et leur courage à se sacrifier pour que d’autres s’élèvent.

Contrairement au héros, il est rare que l’héroïne 1.0 soit celle qui combatte le mal. En général, elle sera un soutien, une accompagnante. Elle peut se trouver au centre de l’histoire, mais son arc narratif sera d’aider ceux qui l’entourent à sauver le monde.

Samantha (Ma sorcière bien-aimée), Cendrillon, Bella Swann (Twilight), Tessa (After), Fran (Super Nanny), Daphné (Chronique des Bridgertons)…

Souvent définies, par leurs familles ou leurs relations, elles ne sont plus considérées comme des modèles auxquels les femmes de nos jours s’identifient facilement.

L’héroïne 2.0 : perfection et manque de développement 

La nouvelle vague d’héroïnes initiée en partie par les studios Marvel sera aussi aisément critiquable : supprimant toute forme de vulnérabilité, d’enjeux familiaux ou d’intérêt amoureux, le studio construit des personnages unidimensionnels et  ennuyeux.

Superman, et même Captain América, ont le droit à leurs difficultés et à leurs faiblesses. De Rey (Star Wars) à Galadriel (Les anneaux de pouvoirs), ces séries nous proposent des héroïnes qui n’ont aucune marge de progression, car elles sont déjà cette figure « idéale » de la femme forte et indépendante. Celle qui n’a personne dans sa vie, puisque l’attachement risquerait de la restreindre ou de compromettre sa puissance. Ainsi décrites, elles représentent les opposés extrêmes de l’héroïne 1.0 et il est presque aussi difficile de s’identifier à elles que de vouloir leur ressembler (et même avec de jolies tenues et des effets spéciaux sympas).

S’il existe d’autres formes d’héroïnes, celles décrites ici sont dominantes. À l’inverse, les anti-héroïnes sont celles qui vont à l’encontre des valeurs promues par la société : femmes avides de pouvoir, égoïstes, peu maternelles... mais surtout, en lutte contre la  société et ses dictats.

Est-ce que ce ne serait pas ça, le vrai héroïsme ? 

Fleebag : un exemple d’anti-héroïsme…

Voleuse, menteuse, dotée d’un fort esprit de contradiction, obsédée par le sexe, vulgaire, franche voire méchante, irrespectueuse, peu câline, violente, refusant la coopération... Fleebag n’a rien d’une héroïne. 

La série réussit à poser rapidement le personnage en utilisant le concept du quatrième mur. En effet, le public devient complice de Fleebag, qui, grâce à des regards caméra, brise le masque et nous met dans la confidence de ses vraies pensées, même les plus horribles.

Dans le pilote, elle est accostée par un homme au physique particulier. À nous, elle montre clairement son dégout et se moque du personnage. Pourtant, devant lui, elle prétend être intéressée, jusqu’à avoir une relation intime avec lui. Ce manque d’honnêteté doublé de méchanceté est très loin de ce qu’on attend d’une « bonne » personne, mais surtout d’une  femme « convenable ».

Un exemple frappant est le thème de la masturbation. Le copain de Fleebag est très dérangé par cette pratique et souhaite qu’elle arrête. Si ce n’est pas représentatif de tous les hommes hétérosexuels, le tabou de la masturbation féminine existe. Et pour Fleebag, il fait partie des sujets de discorde dans son couple. 

Certes, nous ne voyons pas de héros se masturber à l’écran. Néanmoins, cela ne serait pas si choquant, car pour les hommes cette pratique est bien plus normalisée. C’est même un signe de virilité et de force sociale que de pouvoir faire cela. Alors que, pour une femme, c’est un outrage.

Si Fleebag va contre tous les principes de l’héroïne, elle est surtout en opposition avec ce qu’on espère de la femme idéale. 

… ou une nouvelle forme d’héroïsme ?

En plus de ses traumatismes (la mort de sa mère et celle de sa meilleure amie), Fleebag vit dans un monde affreux. Si elle est dépeinte comme une personne avec peu de qualités, nous pouvons rapidement comprendre ses réactions au vu de son environnement (une représentation peu exagérée de notre réalité.)

Alors, est-ce que ses défauts et son caractère sont le problème ? Ou est-ce que le monde est juste cet endroit où l’on se noie ? Où l’on tente de respirer malgré l’océan de noirceurs et de difficultés ?

Fleebag incarne la femme moderne, une féministe imparfaite qui ne sait pas si elle veut une famille, qui ne sait pas si elle est une bonne amie. Une femme pas toujours à l’aise avec son corps, qui affronte le sexisme, mais qui survit, tous les jours, en tentant d’être heureuse, de se sentir la moins seule possible.

En 2019, dans leur article pour Slate : « Les 15 héroïnes de série les plus importantes de la décennie », Anaïs Bordages et Marie Telling désignent quinze protagonistes qui ne ressemblent en rien à l’héroïne conventionnelle. En réalité, les personnages cités possèdent tous les qualités d’une anti-héroïne.

Fleebag est nommée dans cette liste aux côtés d’Olivia Pop (Scandale) ou encore d’Andréa Martel (Dix Pour Cent).

Un des points communs de ces femmes est qu’elles ne correspondent pas aux attentes de la société. Elles sont remplies de défauts, de fortes attentes et possèdent des psychologies complexes que les séries nous permettent d’explorer. Néanmoins, elles restent courageuses, braves et méritantes, car elles luttent pour avancer dans une société patriarcale qui nous limite à la naissance.

Elles sont des femmes modernes qui cherchent la justice pour elle-même. Et dans ces personnages, nous pouvons nous reconnaitre. Ce ne sont pas des héroïnes qui nous donneront envie de sauver le monde, mais de le remettre en question, lui, ainsi que ses valeurs et de nous sauver nous-mêmes. 

C’est aussi une forme d’héroïsme, moins culpabilisante, plus vrai : un héroïsme féministe. 

Working mom, Maid, ou encore Greys Anatomy, les nouvelles anti-héroïnes sont celles qui nous font vibrer, auxquelles on s'identifie.

Celles qui sont des héroïnes modernes.



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